Le voyage du Pèlerin (Livre complet)


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Le voyage du Pèlerin


Introduction



C'est le voyage du chrétien vers l'éternité bienheureuse, où l'on voit représentés sous diverses images les différents états, les progrès et l'heureuse fin d'une âme chrétienne qui cherche Dieu en Jésus-Christ. Que Dieu vous bénisse en parcourant et en lisant ce livre qui a été, après la Bible, le livre le plus vendu au monde!




De l'oeuvre écrite de John Bunyan venue jusqu'à nous, soit une soixantaine de livres, opuscules, poèmes, tracts et sermons, on ne lit plus guère que quatre livres: le Voyage du Pèlerin, la Sainte Guerre, Grâce Surabondante, et la Vie et la Mort de M. Badman. L'ouvrage qui a valu à l'auteur l'immortalité est Le Voyage du Pèlerin, particulièrement la première partie, composée quinze ans avant la seconde.



Le Voyage du Pèlerin est après la Bible le livre le plus répandu dans le monde. En plus des innombrables éditions qui se sont succédé dans les pays de langue anglaise, le livre a été traduit en 144 langues et dialectes différents. Le seul ouvrage comparable pour sa diffusion au livre de Bunyan est l'Imitation de Jésus-Christ de Thomas à Kempis. Ce dernier ouvrage est le classique de la piété catholique, l'autre l'est de la piété protestante.



Le Voyage du Pèlerin - nous continuerons à désigner par ce titre la première partie de l'ouvrage qui forme d'ailleurs un tout indépendant - est une allégorie. Son titre complet s'étend comme suit : « Le Voyage du Pèlerin de ce monde à celui qui est à venir, rapporté sous la forme d'un rêve, comprenant le récit de son départ, du voyage dangereux qu'il fit, et de son heureuse arrivée dans le Pays Désiré ».



Le Pèlerin nous apparaît d'abord sous les traits d'un homme couvert de haillons et chargé d'un fardeau qui l'écrase. Il lit dans un livre, et sa lecture semble le plonger dans la plus vive anxiété. Puis bientôt, il est sur le chemin, Il court, Il fuit. C'est le commencement du voyage. Ni femme, ni enfant, ni voisins ne peuvent le retenir ; ni non plus les Incidents fâcheux ni les déconvenues répétées. Nous savons bientôt son nom : Chrétien. C'est sur les conseils de l'Evangéliste qu'il s'enfuit, tel Lot, de la Cité de Destruction. Il est en route pour la Cité Céleste.



Le Voyage sera long et rempli d'imprévu. Malgré le Bourbier dans lequel Il tombe, et en dépit des propos fleuris de Sage Mondain, Il arrive à la Porte Etroite où Bon Vouloir lui tend la main. Sur les indications de son nouvel ami, Chrétien se dirige vers la maison de l'Interprète, où Il est admis à contempler les objets rares et des spectacles frappants qui lui apprennent une foule de choses. C'est après avoir quitté cette maison étonnante que Chrétien est enfin délivré, en face de la croix, du fardeau qui l'accablait. Ce fardeau roule dans un tombeau ouvert, et des hommes de lumière paraissent, qui le revêtent d'un habit nouveau. Ce n'est certes pas sans encombre qu'il atteint le Palais plein de Beauté, au sommet de cette colline Difficulté, dont l'accès est gardé par les lions. Accueilli par d'aimables et graves hôtesses, Prudence, Piété et Charité, il ne quittera pas le château sans avoir été armé de pied en cap et préparé pour les batailles prochaines.



Elles ne vont pas tarder à arriver



Dans la Vallée d'Humiliation, il se rencontre avec son pire ennemi, Apollyon. Le combat est terrible ; le Diable, toutefois, doit céder le terrain. Mais à peine ce combat singulier a-t-il pris fin qu'un autre commence, plus terrible peut-être parce que l'ennemi ne se présente pas visage contre visage, et qu' on ne peut le combattre épée contre épée. Chrétien est maintenant dans la Vallée de l'Ombre de la Mort, peuplée d'êtres étranges, remplie de voix lugubres, habitée aussi par les géants Pape et Païen. Ce qui est le plus obsédant, sans doute, ce sont les traces de ceux qui ont été vaincus, Jadis.



Mais Chrétien a maintenant un compagnon: Fidèle, âme de même fibre. Ils causent, échangent des souvenirs jusqu'au moment où le brillant Beau Parieur les rejoint et leur impose son babillage creux. Mais Chrétien va démasquer sans peine le manque de profondeur et le vide du hâbleur.



Les dangers ne sont pas finis, loin de là. Evangéliste survient, qui leur annonce de prochaines épreuves. Ils arrivent bientôt en effet à la Foire aux Vanités, la ville corrompue. Tous les trésors du monde y sont en montre, et aussi toute la puissance du péché sur le coeur humain. Fidèle va Ici souffrir le martyre et mourir ! Chrétien est de nouveau seul sur le Chemin, hors de la Cité maudite.



Mais à Fidèle succède un autre compagnon, Plein d'Espoir, « né des cendres de Fidèle », pour ainsi dire. Survient un nouveau bavard, originaire de la ville Beau Discours, un Monsieur Intéressé, qui, de son propre aveu, « règle sa conduite et ses sentiments sur l'opinion du monde ». Ce personnage, décrit avec grand bonheur par l'auteur, est bien vite dépassé par nos deux pèlerins, qui délaissent aussi un certain Démas et sa mine de métal précieux, et arrivent enfin aux bords du ruisseau enchanteur du psaume premier, au long duquel croissent des arbres chargés de fruits. Repos précieux dont ils usent. Le voyage repris, leur projet malencontreux de prendre un chemin plus facile fait d'eux la proie du géant Désespoir qui les jette dans le Château du Doute. Ils ne sortiront de leur affreux cachot que grâce à la petite clef Promesse enfin retrouvée.



Les voici dans les Montagnes Délectables, où ils rencontrent d'aimables bergers. Ah, Ils voudraient bien s'y arrêter, mais la vie ne s'arrête pas, elle. Ils continuent leur route, entendent le récit pathétique de Petite Foi dépouillée par des voleurs de grand chemin ; ils ont maille à partir avec Flatteur et son Filet, avec Athée et son rire cynique, traversent sans encombre les Terres Enchantées, et atteignent enfin la Terre de Beulah, « Mon-plaisir-est-en-elle », dont l'air est doux et agréable, et qui est la frontière du ciel. Alors, c'est la traversée du fleuve et l'entrée dans la cité du Roi. Le Pèlerin a fini son voyage.



Le succès du Voyage du Pèlerin, dès son apparition, fut tel que Bunyan entreprit de composer un autre ouvrage destiné à en être, pour ainsi dire, la contrepartie. Après avoir décrit les aventures de cet excellent homme Chrétien en route pour la cité céleste, il décrit la descente de Monsieur Badman, M. Méchant-Homme, vers la cité maudite, histoire « d'une âme qui. se défait ». C'est en 1685 que parut La Vie et la Mort de M. Badman. Quels que soient les mérites du livre, l'instinct populaire ne l'accepta jamais comme le compagnon du Voyage du Pèlerin, qui eut bientôt, signe de la faveur du public, l'honneur du plagiat. Des gens graves et bien intentionnés entreprirent de faire mieux que Bunyan et de le corriger, car le digne homme n'était pas assez doctrinal et, faute impardonnable, faisait sourire et même rire. Bunyan eut à se défendre contre les contrefaçons.



Beaucoup mieux acceptée que La Vie et la Mort de M. Badman fut la véritable suite du Voyage du Pèlerin, que Bunyan composa en 1685 sous la forme d'une seconde partie. Il s'agit Ici du pèlerinage de Christiana, la femme de Chrétien qui, avec ses quatre fils, prend le Chemin après la mort de son mari, prise de remords, mais émue et encouragée par les hauts faits et la vie valeureuse de Chrétien. On dit que celle qui servit de modèle à Bunyan pour peindre le caractère de Christiana fut Elisabeth, sa seconde femme.



Elle prend le même chemin que son mari, mais comme elle est femme, et ne peut, comme feu son mari qui était homme d'armes, combattre de l'épée contre les ennemis du chemin, l'auteur lui donne pour compagnon Grandcoeur, un chevalier sans peur et sans reproche ; elle emmène aussi avec elle une jeune amie, Miséricorde, de la même ville qu'elle et qui ne la quittera pas.



Il y a beaucoup de ressemblance entre cette seconde partie et la première. Il ne pouvait en être autrement, et c'est ce qui rend ce nouveau livre inférieur au premier. L'auteur s'imite. Une magnifique réussite ne se produit pas deux fois de suite. Christiana et sa famille traversent les mêmes endroits, parcourent les mêmes étapes, et rencontrent nombre de personnes qui ont connu son mari et ont fait une apparition dans le récit de son pèlerinage. Il y a pourtant des additions notables et d'importantes variations. Les voyageurs voient dans la maison de l'Interprète des objets que Chrétien n'avait pas vus, par exemple, une pomme d'Eden qu'Eve n'eut pas le temps de manger, et l'échelle de Jacob à Béthel. -Ils traversent dans les Monts Délectables des sites nouveaux. Des personnages apparaissent pour la première fois, un M. Craintif, par exemple, que Bunyan doit reconnaître fraternellement, et pour qui les eaux du fleuve se feront basses jusqu'à permettre la traversée à gué, lorsqu'il aura à les traverser. A côté de Christiana et de Miséricorde, figures féminines délicates et fortes, de solides, massifs et valeureux personnages de la trempe des puritains de Cromwell incarnent la combativité essentielle à tout chrétien : Grandcoeur, MM. Honnête et Vaillant-pour-la-Vérité.



Pour n'être pas égale en valeur à la première partie qui était d'une coulée magnifique et originale, cette seconde partie du Voyage du Pèlerin n'est pas Indigne de la première.



La substance, dont est fait le chef-d'oeuvre de John Bunyan, peut se rechercher dans des ouvrages similaires composés avant lui. Mais on s'apercevra bien vite que ce qui se découvre en de tels ouvrages se trouve aussi dans la Bible.



Nous ne savons si John Bunyan lut Le Pèlerinage de l'homme de Guillaume de Guileville, écrit en 1330, après l'apparition du Roman de la Rose. En 1663-1665, pendant que Bunyan était en prison, parut sous la plume de l'évêque Patrick une Parabole du Pèlerin. Mais la parabole n'était qu'un prétexte à homélies.



A-t-il lu d'autres livres ? Nous ne savons. A-t-il lu seulement ceux-là ? En a-t-il eu le loisir ? D'ailleurs, Il prétend que tout est de lui. Entendons-nous: de lui, fils de la Bible. Le Voyage du Pèlerin se déroule en grande partie dans la vallée de l'Ombre de la Mort ; mais le psaume 23 lui en a donné l'idée. Ephésiens lui dépeint l'armure du Chrétien. L'Evangile lui donne la Porte Etroite. Paul dit à Timothée: « Souffre avec moi comme un bon soldat de Jésus-Christ ». La Bible ne nous présente-t-elle pas aussi Abraham obéissant à l'appel de Dieu, et partant pour le pays qu'il doit recevoir en héritage ? « Il partit sans savoir où il allait... Il attendait la cité qui a de solides fondements. »



Notre chaudronnier est par excellence l'homme formé par la Bible. Le catholique parle de sa Sainte Mère l'Eglise ; il pourrait, lui, nous parler de sa Mère la Bible. Ainsi que l'enfant grandit pour ressembler à sa mère, physiquement et moralement, John Bunyan porte, en son langage comme en sa pensée, le langage même de la Bible anglaise, et ses seuls héros sont ceux que la Bible dresse devant ceux qui se mettent à son école, les batailleurs pour Dieu et les héros du devoir.



La Bible est créatrice de caractères ; Bunyan s'est tellement nourri de l'Ecriture que désormais il porte en lui-même, incarné, son message éternel. Qu'alors il écrive, où sera l'imitation ? Si vraiment le style est l'homme même, l'oeuvre de Bunyan ne peut être qu'une oeuvre biblique.



Le Voyage du Pèlerin est l'expression pure de toute la personnalité de Bunyan. Il s'est mis là sur le papier. Il n'a point l'arrière pensée de prêcher ou de faire oeuvre d'art. En parfaite candeur, il se livre dans son oeuvre pour passer des loisirs forcés. Tout est naturel et primesautier. Il commence à écrire et court après sa plume. Sa pensée jaillit d'une coulée. Bunyan se donne fort Ingénument et complètement.



Aussi, trouvons-nous ici réminiscences bibliques à foison. C'était la substance même de l'auteur. Et voici aussi, sous forme de marionnettes fort vivantes, tout le petit monde d'Elstow et de Bedford. Nous faisons, avec l'auteur, un voyage autour de son village. Les portraits concis, vivants, pris sur le vif, ce sont autant de personnages que nous rencontrons un instant au coin d'une rue, sur le bord du trottoir; une salutation, quelques mots nous donnent tout de suite la physionomie spirituelle, le travers ou la perfection particulière de l'interlocuteur; un coup de chapeau, et notre homme est déjà loin. Il n'a été devant vous que quelques minutes, et vous le connaissez comme s'il vous était familier depuis toujours.



Mais surtout, Bunyan se raconte



Le pèlerin, c'est lui. C'est lui qu'a toujours travaillé cet instinctif vouloir-vivre, cette aspiration à l'éternel et à l'immortalité, mystérieux travail de la vie qui veut s'affirmer au-dessus et au-delà de ce qui est condamné à la destruction. Mystérieux travail de Dieu. C'est le héros de Grâce Surabondante qui reparaît dans cette épopée de l'âme, il l'a parcourue et continue à la vivre ; et chaque fin d'étape porte la trace de quelqu'une de ses angoisses vaincues. Sans doute ne décrit-il pas d'expérience la traversée du grand fleuve! Mais il connaît tout au moins les délices des Montagnes délectables, d'où se contemplent dans le lointain les cimes éternelles.



Il a connu des défaites, et a goûté des triomphes ; le Voyage n'est autre que le cri de souveraine assurance, de foi et de victoire du chaudronnier de Bedford en route vers les rivages de Dieu. Là se reconnaît le livre protestant, car seul un protestant peut parler avec assurance de son salut. En dépit de toutes vicissitudes, Il arrive. L'essentiel de ce livre, en effet, c'est que le pèlerin arrive. C'est l'enseignement de l'Evangile de la grâce : Chrétien arrive au terme espéré, et par la grâce de Dieu. Taine dit, dans son Histoire de la littérature anglaise, que le Voyage du Pèlerin est le plus populaire des livres religieux anglais, parce que c'est en lui que s'exprime le mieux la doctrine cardinale du Protestantisme: le salut par grâce.



Dès son apparition, le Voyage du Pèlerin rencontra un extraordinaire succès, dont le plus étonné fut John Bunyan lui-même. N'avait-il pas hésité à publier cette oeuvre d'imagination ? Ses amis avaient hoché la tête devant cette oeuvre si différente des massifs sermons puritains construits en solides pierres de taille. Cet ouvrage de Frère Bunyan, fruit de son ennui de prison, était bien un peu léger... Notre héros suivit son inspiration, et l'oeuvre parut. Elle fut rapidement consacrée chef-d'oeuvre.



Puis survint après la mort de l'auteur un assez long oubli, et enfin le retour à la faveur. Toutes choses, en ce monde, sont soumises au rythme du flux et du reflux.



Aujourd'hui, il est aussi lu que jamais. Il est le réconfort du simple, et fait les délices de l'intellectuel. Il est grand favori des enfants et des Jeunes gens, et incline les vieillards aux contemplations paisibles. Il est le compagnon des âmes viriles, et la joie des âmes mystiques. Il est au surplus, suivant le mot de Corelidge, « la meilleure Somme évangélique » que nous possédions.



La forme et la beauté littéraire du Voyage du Pèlerin sont, sans doute, un des éléments les plus sûrs de cette universelle popularité. Les traductions sont incapables de nous faire sentir la force et la saveur du texte original. C'est le style de la Bible de 1611, et le langage dru et pittoresque du paysan du XVIIe siècle. A la force rustique du style se joignent la puissance et le charme de la simplicité. Point de préciosité ; l'homme est rude, il est homme du peuple, et au surplus homme de la vérité. Que votre oui soit oui, tout ce qui s'ajoute vient du malin. Il n'est pas paysan du Danube, mais Puritain de la solide espèce, à la franchise abrupte et vive. La simplicité est un grand art. Celle-ci est musclée, nerveuse et nue.



Nous n'avons point en Bunyan un homme de lettres, encore moins un dilettante : c'est un homme terriblement sérieux. Il chante : mais c'est le chant grave et profond de toute sa vie qui nous atteint.



Il n'a pas besoin d'autres ornements que la vérité de son âme profondément humaine. Dans l'auteur se montre l'homme même, rien d'autre. Il est fait d'humaine et pathétique tendresse. Une Immense sympathie le lie à chacun de ses personnages, même les vilains. Ce sont des créatures humaines ; Il n'en fait pas des pantins dont Il joue un Instant. Non. Ils sont tous chair de sa chair. Aussi le rire succède-t-il aux larmes, l'alléluiah au cri de désespoir. Toutes les émotions humaines coulent à plein bord et pétillent, bouillonnent ou éclatent dans les mots savoureux qui disent fort à propos et avec grande justesse ce qu'ils veulent dire. Un délicat humour vous fait sourire dès la première page. Vous voilà conquis.



Le style fait du Voyage du Pèlerin un classique anglais ; sa forme magnifique lui assura, dans une grande mesure, une partie de son immortalité.



Une autre raison du succès véritablement extraordinaire de l'allégorie de Bunyan réside en ceci, qu'elle répond merveilleusement à ce désir, profondément enraciné en l'homme et universellement, de récits, de fables, de métaphores, d'allégories et de paraboles. Les temps n'ont point changé depuis l'époque où les aèdes chantaient les exploits d'Achille et les voyages d'Ulysse. Les motifs, peut-être, ou plutôt l'habit des personnages ! Jadis, Ulysse, ou Enée ou leurs compagnons ; plus tard, les Chevaliers de la Table Ronde, les héros du Roman de la Rose, les grands vagabonds de la foi, croisés et pèlerins en Terre Sainte, chantés par les troubadours.



N'avons-nous pas encore, en nos bibliothèques, quelque épopée de conquistadores, d'explorateurs audacieux, de missionnaires... ? L'âme humaine est éternellement la même, et se laissera toujours attirer par les jeux de l'imagination et du rêve. Les contes de fées seront toujours racontés aux petits et feront les délices des grands, les fables de La Fontaine enchanteront encore longtemps gamins et savants à bésicles, et le monde redira inlassablement, jusqu'à la fin des temps, les paraboles de l'Evangile.



L'homme est ainsi fait :



L'imagination lui est nécessaire pour vivre, et c'est bien souvent sa seule voie d'évasion hors des réalités meurtrissantes qui l'encerclent. La foi et la charité feraient-elles fi de l'imagination ? Point, depuis que Francesco, le petit pauvre d'Assise, poète inoubliable de la vie chrétienne a, en chantant à la mode des troubadours, lié sa vie à celle de Dame Pauvreté.



Le chef-d'oeuvre de Bunyan a la simplicité et la spontanéité de la vie. Il grandit et s'épanouit sans effort. Une grande unité dramatique se révèle d'un bout à l'autre ; l'intérêt jamais ne se disperse, ni jamais ne fléchit. Il faut suivre. Et c'est parce qu'une seule pensée le guide, Qu'une seule vision le possède, Qu'une seule vérité l'étreint, que le lecteur tout nouveau a le sentiment d'avoir été initié par cette seule lecture à une vie inconnue qui est vraie, qui doit être vraie, qui ne peut être autre que vraie.



Notre chaudronnier-auteur se révèle maître psychologue. Sa propre expérience a été son école. Sa vie n'a-t-elle pas été sauvée que par une unification profonde et totale de toutes ses puissances intérieures, par la domination absolue et définitive d'une seule et exclusive passion, Christ ?



Les personnages de Bunyan ne nous fatiguent pas. Ils ne bavardent pas Inutilement. Leur foi, s'Ils sont religieux, s'exprime dans leurs gestes. La véritable piété ne se surcharge pas de phrases. Et tel qui s'enfuit, les doigts dans les oreilles, nous en dit assez sur son attitude spirituelle, sans qu'il soit nécessaire d'insister.



John Bunyan n'est pas un portraitiste à La Bruyère. Il ne fait pas oeuvre volontairement littéraire, et n'entend pas vouloir enchanter l'esprit par de subtiles et délicates descriptions. Non, il suit tout simplement son voyageur. Mais en trois traits de plume il vous plante un personnage sur ses deux jambes. Tout de suite vous êtes au clair sur ce qu'il est, sur ce qu'il veut, sur ce qu'il vaut.



John Bunyan ne s'arrête pas, sauf parfois en fin d'étape pour un léger hors-d'oeuvre. Le voyage est le récit d'un effort toujours tendu, et cet unique effort seul compte. Inconsciemment, le lecteur s'associe à lui, par sympathie, et n'en peut plus sortir. Il entre lui aussi dans la course.



Pourtant, bien volontiers, on s'arrêterait pour examiner de plus près ces personnages : ils sont bien intéressants ! Ici encore se découvre une des raisons du succès prodigieux du Voyage du Pèlerin. C'est que cette parfaite allégorie atteint cette autre perfection de faire oublier qu'elle est une allégorie. N'était le nom dont chacun est affublé, nous ne nous croirions pas dans le monde de la fable. Ces abstractions qu'il a voulu nous peindre, il les a habillées d'humain et de concret au point qu'elles cessent d'être des abstractions. Et ceci a entraîné les commentateurs à bien des critiques Injustifiées. C'est ainsi qu'on a dit, à l'envi ,que Chrétien était un piètre personnage, qui acceptait d'abandonner femme et enfants et la ville où il vivait, pour se lancer à la poursuite d'un bonheur purement personnel et égoïste ! On a oublié qu'il ne quitte rien sinon un état d'âme, une attitude de coeur et de volonté. Ce voyage du pèlerin est vertical. Il ne quitte ni famille ni cité. Tout doit être transposé du plan matériel et physique sur le plan spirituel. Jésus n'a-t-il pas dit qu'il faut haïr femme, enfants... et Paul n'a-t-il pas écrit à quelques lignes de l'énoncé de la loi royale : « Portez les fardeaux les uns des autres », cette autre phrase non moins vraie : « Chacun portera son propre fardeau ? » Chrétien ne bouge pas de place, géographiquement parlant. Et lorsqu'on dit Qu'il se désintéresse de ses devoirs sociaux en tant que chrétien, on se trompe. Car, lorsque plus tard sa famille guidée par Grandcoeur traversera la ville de la Foire aux Vanités, elle trouvera bien des améliorations dans la vie de la collectivité, nées du passage du voyageur.



Paysannerie et petite bourgeoisie du comté de Bedford font cortège au Pèlerin. Ce sont néanmoins des types universels. Presque trois siècles après leur apparition sur les bords de l'Ouse, Ils se révèlent pour Français, Chinois, Hindous et Bassoutos comme des gens de leur peuple et de leur temps. Ces personnages vivent concrètement, mais sur le plan de l'universel et du permanent. Voilà qui est proprement classique. Le Voyage n'est dépaysé en aucun siècle, parce qu'il y a en l'homme quelque chose qui ne change pas, un fond Immuable. Ce qui fait de la Bible, même envisagée du point de vue humain, le livre qui demeure et demeurera, fait du Voyage du Pèlerin, fruit biblique d'ailleurs, un livre qui demeure et durera. Il peint l'humanité éternelle, ses malheurs, ses luttes, ses espérances inchangeables. Sous leur habit Imaginaire et dans des attitudes prises sur le vif de chaque jour, les bonshommes, qui servaient de jeu à Bunyan dans les heures longues de sa prison, sont des interprètes de l'homme éternel.



On a remarqué que Bunyan, un des créateurs, en somme, du roman, se différencie des hommes de lettres de son temps par l'absolue absence d'incongruités dans le langage. Les paysans parlent comme des paysans, hormis la grossièreté quasi naturelle à cette époque. Bunyan avait été radicalement converti sur ce chapitre, et nous savons comment.



Le Voyage du Pèlerin est accueilli par tout homme réellement homme, qui a une vision juste de son humanité, et qui sent, à cause de cela, un besoin d'évasion. Pour une vie humaine ordinaire, l'évasion est une question de vie et de mort. Le Voyage est un récit d'évasion, par la victoire. Son héros est un vainqueur, qui atteint sa victoire à travers bien des défaites, et qui fait, de ses difficultés mêmes, des Instruments de cette victoire. Et le secret de cette victoire est la grâce.



C'est en 1682, deux ans après la parution de La Vie et la Mort de M. Badman, que parut la Sainte Guerre, le second grand ouvrage de John Bunyan. Macaulay affirme que la Sainte Guerre eût été le chef-d'oeuvre de l'allégorie religieuse, si le Voyage du Pèlerin n'avait pas été écrit. Sans doute. Mais à bien des égards, malgré peut-être Quelques perfectionnements dans la technique, cette épopée est inférieure au Voyage du Pèlerin.



Le titre complet de cet ouvrage est : La Sainte Guerre, entreprise par Shaddaï contre Diabolus pour reconquérir la Métropole du Monde ; ou, la Chute et la Reprise de la Ville d'Ame Humaine (Mansoul).



Ainsi que dans Le Voyage du Pèlerin, c'est le drame de l'âme humaine que Bunyan met en scène ; mais ici, ce sont des mouvements de masse. C'est la guerre. L'âme n'est plus un pèlerin solitaire, mais Une ville entière aux nombreux citoyens, qui a son maire, ses échevins, ses bourgeois, ses soldats. Elle est située sur le fameux continent Univers qui s'étale entre deux pôles et Quatre points cardinaux. Elle fut jadis bâtie par Shaddaï et fortifiée par lui de telle sorte Qu'elle ne pouvait tomber en la puissance d'un ennemi qu'avec le consentement de ses habitants.



Diabolus circonvient ceux-ci et s'empare de la ville. Il enlève l'image de Shaddaï qui était gravée au-dessus de la porte du château, et change tout le personnel de l'administration de la ville. Au surplus, Il bâtit trois forteresses nouvelles pour consolider sa souveraineté sur la ville. Alors, c'est la guerre.



Le roi Shaddaï envoie une armée forte de 40.000 hommes pour assiéger la ville rebelle. Le siège est long. Il dure un hiver. Le fils du roi, Emmanuel, vient prendre lui-même le commandement des troupes. Il exige reddition complète, à sa discrétion. La ville enfin se rend, à bout de ressources. Emmanuel entre en vainqueur, chasse Diabolus, et proclame un pardon général. Cette proclamation de grâce est faite sur la place du marché, au milieu de l'allégresse universelle.



Le livre va-t-il se fermer sur ce triomphe complet d'Emmanuel ? Ce serait mal connaître la nature humaine. Bunyan sait de quoi est fait le coeur de l'homme. La ville reconquise reçoit de son prince une nouvelle charte, et des hommes nouveaux en prennent la direction. Deux maîtres sont désignés pour enseigner la loi et les commandements nouveaux, Esprit de Vérité et M. Conscience. Par les soins d'un nouveau gouverneur, excellent homme qui porte le nom de Paix-de-Dieu, Perdre est rétabli. On se livre au travail journalier dans la joie et dans les chants. Ainsi passe un été.



Mais deux dangers vont poindre, et bientôt devenir pressants. Pour Bunyan l'âme humaine est constamment menacée par deux périls, l'attrait du monde et la persécution. Grâce aux agissements d'un certain M. Sécurité Charnelle et de quelques Diabolistes demeurés dans la ville - ah, que n'avait-on expulsé tout ce vilain monde ! - un plan se déroule subrepticement, qui tend à asservir la ville par l'excès de ses richesses. Il ne s'agit rien moins que de faire de la citadelle du Coeur un entrepôt de marchandises, et d'obliger ainsi la garnison à établir ses quartiers ailleurs ! Magnifique chef-d'oeuvre de l'enfer que ce plan machiavélique ! Les fidèles d'Emmanuel, cependant, déjouent le complot.



Un autre danger surgit alors. Emmanuel, il faut le dire, n'était plus dans la ville, ayant voulu montrer son mécontentement pour la faveur indéniable avec laquelle bon nombre de citoyens avaient accueilli les projets de Sécurité Charnelle. Mais voici que la cité est de nouveau investie. Une armée d'Hommes Sanguinaires, doublée d'une autre armée de 25.000 Douteurs, soumet la ville à un siège interminable. Escarmouches et charges se succèdent, jusqu'à ce qu'une sortie des hommes d'Emmanuel mette enfin en fuite l'assiégeant.



L'alerte avait été rude, si rude même qu'un Jour Emmanuel, le fils du roi Shaddaï, vint en sa ville, se rendit en grande pompe sur la place du Marché, convoqua tout le peuple et le harangua. Il leur faudrait dans quelque temps, leur dit-il, transplanter leur ville dans un autre pays, où le danger de retour en force de Diabolus fût absolument impossible. En attendant, qu'ils conservent éclatants de blancheur les vêtements qu'il leur a donnés, qu'ils se souviennent de la constance de son amour pour eux, et qu'ils tiennent bon jusqu'à son retour.



Les personnages de la Sainte Guerre sont trop nombreux pour être, ainsi que ceux du Voyage du Pèlerin, vivants et concrets. Ils parlent surtout et vivent par leur nom. Certains d'entre eux, pourtant, ont été dessinés de main de maître, comme ce Monsieur Conscience, greffier de la ville qui savait rugir comme un lion, et faisait trembler toute la ville quand il avait une de ses crises ; on ne pouvait le faire taire qu'en l'enivrant et en l'entraînant à quelque débauche.



Bunyan se montre toujours conteur Incomparable et psychologue subtil. Il sait ce qui est en l'homme. Rudyard Kipling, dans un poème Intitulé Guerre Sainte, a montré comment le chaudronnier de Bedford décrivit dans son livre, par anticipation, toutes les passions humaines qui firent beau carnaval dans la grande guerre de 1914-1918. On ne peut rendre un meilleur hommage au peintre de l'homme qu'était l'allégoriste puritain.



John Bunyan a écrit des vers. Toutefois, Quelques pièces seulement ont l'honneur des anthologies. C'est surtout pour l'édification de la jeunesse qu'il composa ses poèmes. La popularité rencontrée par le Voyage du Pèlerin semble l'avoir encouragé dans cette vole. Mais le résultat nous apparaît assez piètre.



Passées de mode sont toutes les autres oeuvres de Bunyan. Elles eurent leur vogue, mais ne dépassèrent guère en influence les limites de sa génération. Ce sont des homélies, des expositions, des controverses. Ces écrits, instruments de son activité pastorale, servaient son dessein immédiat, qui était d'instruire et de fortifier dans la foi. Ils ont les défauts des ouvrages du genre et de l'époque, et comme eux dorment dans l'oubli.



De tous ces ouvrages composés en dehors des deux grandes allégories du Voyage du Pèlerin et de la Guerre Sainte, et du petit roman Vie et Mort de M. Badman, un seul ouvrage conserve la faveur du lecteur moderne ; précieux, de forte sève et d'importance religieuse capitale : Grâce Surabondante, son autobiographie spirituelle, dramatique à souhait et bouleversante. Nous n'en parlerons plus, puisque toute la biographie que nous avons retracée de l'auteur repose sur cet ouvrage de confession, et obéit à son rythme. Elle est un joyau pour les explorateurs de l'âme humaine, bien qu'elle rebute ceux des théologiens qui ne veulent plus «une théologie qualifiée de désuète. Mais les doctrines énoncées ne sont ici qu'un léger voile qui n'encombre pas ceux qui devinent, sous ses plis, une âme extraordinairement vivante, et qui livre un formidable combat singulier à cet adversaire, qui ne dit pas son nom, et qui est Dieu lui-même.



La grande allégorie de Bunyan et sa confession dureront. Dans notre monde en désarroi spirituel et moral, se devine l'effort de l'âme humaine en quête de ce qui est indestructible et de ce qui assurera sa sécurité. Elle ne trouvera rien d'autre que ce que lui offre John Bunyan en un langage Inoubliable : la Bible et la Grâce de Dieu, manifestée en Jésus-Christ. Point de théorie sur la Bible, certes, ni d'aperçus théologiques sur la grâce, en tout cas dans ces livres qui émergent de deux siècles et demi de vie humaine ; mais les grandes et intangibles certitudes qui tiennent l'âme en parfaite assurance de vie, et qui lui viennent par la connaissance de Jésus-Christ. Et John Bunyan ne ferait-il que de nous laisser ses Images et les bonshommes créés par sa verve de conteur, qu'il remplirait un rôle nécessaire et plus utile peut-être que tous les autres. Car l'homme sera conduit toujours par des visions et par des hommes d'os et de chair. Le Chaudronnier de Bedford n'a pas fini son oeuvre. Silencieusement, il doit continuer à éduquer les générations, pour le pèlerinage qui ne s'arrête jamais.



OEUVRE DE JOHN BUNYAN

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