14 - Le Fidèle






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Le Fidèle




L'âme retrouve la lumière et rencontre une autre âme animée des mêmes sentiments.

Le Chrétien fut sensiblement touché de la délivrance qu'il avait obtenue de tous les dangers auxquels il avait été exposé dans cette triste voie, qu'il vit alors encore plus clairement le soleil étant levé. C'était pour lui un très grand avantage, car il faut savoir que, quoique la première partie de la vallée eût été très périlleuse, celle qui restait à passer l'était encore davantage, parce que, depuis l'endroit où il se trouvait alors jusqu'au bout de la vallée, le chemin était si rempli de pièces d'artillerie, de filets, de creux et de fossés, que s'il avait fait aussi obscur qu'auparavant, il y aurait perdu mille vies, s'il les avait eues. Mais comme je l'ai dit, le soleil était levé sur lui. C'est pourquoi, il dit: “Son flambeau brille sur ma tête, et avec sa lumière je marche à travers les ténèbres”.

A la faveur de cette lumière, il arriva au bout de la vallée, et vint dans un endroit où il y avait quantité de sang, d'os et de cendres placés pêle-mêle, comme aussi plusieurs cadavres de pèlerins qui avaient autrefois marché dans cette voie.

Et comme j'étais en peine de ce que cela pouvait signifier, je remarquai un peu devant lui une caverne où avaient habité autrefois deux géants qui, par leur puissance tyrannique, avaient mis à mort ces malheureux hommes.

Le Chrétien passe à travers tous ces objets sans beaucoup de dangers, ce qui m'étonna d'abord. Mais ensuite j'appris qu'un de ces géants était mort il y a déjà plusieurs années, et que, quoique l'autre fût encore en vie, il était si perclus et si affaibli par la vieillesse, qu'il n'avait plus la force de faire beaucoup de mal, mais seulement de se tenir à l'entrée de sa caverne, d'où il ne témoignait plus guère sa rage contre les voyageurs que par des gestes horribles, se rongeant les ongles de dépit, sans plus pouvoir exercer ses brigandages précédents.

Le Chrétien passa donc son chemin, ne sachant néanmoins que penser de ce vieillard qu'il voyait assis dans cette caverne, surtout lorsqu'il l'entendit crier: “Va, va, je ne te traiterai pas plus doucement que les autres, et j'en ferai brûler encore plus d'un”.

Mais le Chrétien, sans dire mot, continua sa route en toute sûreté, et avec un visage content il se mit à chanter ce qui suit.

Que de surprenantes merveilles
Ta sagesse infinie a fait voir à mes yeux!
Mon Dieu, que ne puis-je en tous lieux
Célébrer hautement tes bontés sans pareilles!

Mon âme était environnée
De pièges et d'écueils, de ténèbres, d'horreurs,
De la mort et de ses frayeurs;
Mais ta puissante main, Seigneur, l'a délivrée.

A travers d'affreux précipices,
Malgré mes ennemis, l'enfer et ses suppôts,
Tu m'as conduit vers ton repos,
Et tu veux me combler d'immortelles délices.

C'est là que, rempli d'allégresse,
Sauvé par ton secours, comblé de tes bienfaits,
Je veux célébrer à jamais
De tes faits glorieux la profonde sagesse.

Ainsi il arriva à une hauteur qui était élevée exprès, afin que les voyageurs qui passent pas là pussent voir devant eux où ils doivent marcher. Il y monta légèrement, et, regardant de tous côtés, il découvrit devant lui le Fidèle, qui tenait le même chemin.

- Ecoutez, écoutez, lui cria-t-il, attendez-moi. Je veux aller avec vous?

Le Fidèle regarda autour de lui, ne sachant qui le Chrétien appelait. Mais celui-ci continua à lui crier qu'il voulût bien l'attendre.

- Je crains le vengeur du sang, lui répondit l'autre; ma vie dépend de là.

Le Chrétien fut un peu blessé de cette réponse. Cependant il rassembla toutes ses forces, et non seulement il atteignit le Fidèle, mais il le devança de sorte que le dernier fut le premier, et que le Chrétien commença à rire d'un rire moqueur de ce qu'il avait ainsi devancé son frère. Mais, parce qu'il ne prenait pas garde à ses pieds, il broncha lourdement et tomba par terre sans pouvoir se relever jusqu'à ce que le Fidèle vint à son secours.

Après cela, ils continuèrent ensemble leur chemin de bonne amitié, et j'entendis qu'il s'entretenaient agréablement sur ce qui leur était arrivé dans leur voyage. Le Chrétien commença de cette manière.

- Mon très-honoré et bien-aimé frère, j'ai beaucoup de joie de vous avoir atteint et de ce que, par la grâce de Dieu, nous sommes en état de faire ensemble un voyage aussi beau que celui-ci.

Le Fidèle - Je croyais, mon cher ami, que j'aurai le bonheur de votre compagnie depuis mon départ de votre ville, mais vous aviez déjà beaucoup d'avance sur moi, et j'ai été obligé de faire tout seul ce long chemin.

Le Chrétien - Combien de temps avez-vous encore demeuré dans notre ville depuis mon départ?

Le Fidèle - Aussi longtemps que j'osai y rester, car d'abord, après votre départ, il courut un bruit que notre ville allait être sous peu réduite en cendres par le feu et le soufre du ciel.

Le Chrétien - Ces discours furent-ils répandus parmi nos voisins?

Le Fidèle - Oui, certainement. On n'entendait parler d'autre chose pendant quelques temps.

Le Chrétien - Est-il vrai? Mais ne s'est-il trouvé personne qui ait voulu faire quelque effort pour éviter ce danger?

Le Fidèle - A la vérité on en parlait beaucoup, comme je vous l'ai dit, mais je ne crois pas qu'ils en fussent fortement persuadés; car, dans leurs entretiens les plus sérieux, ils riaient souvent de vous et de votre voyage désespéré (c'est ainsi qu'il nommait votre pèlerinage). Mais, quant à moi, j'ai bien cru et je crois encore toujours que notre ville doit prendre fin par le feu et le soufre: c'est pourquoi je m'en suis retiré.

Le Chrétien - N'avez-vous pas ouï parler de notre voisin Facile?

Le Fidèle - Oui, Chrétien; j'appris qu'il vous avait accompagné jusqu'au Bourbier du Découragement, où quelques-uns disaient qu'il était tombé, quoiqu'il ne voulut pas l'avouer. Toutefois je n'en ai point douté, puisqu'il était encore couvert de boue.

Le Chrétien - Et que disaient ces voisins?

Le Fidèle - Il était généralement méprisé de tous; quelques-uns se moquaient de lui et lui riaient au nez; d'autres faisaient difficulté de lui donner à travailler; lui-même, il est maintenant sept fois pire qu'il n'était avant de sortir de la ville.
Matthieu 12 : 43-45
43 Lorsque l'esprit impur est sorti d'un homme, il va par des lieux arides, cherchant du repos, et il n'en trouve point. 44 Alors il dit : Je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti; et, quand il arrive, il la trouve vide, balayée et ornée. Lire la suite


2 Pierre 2 : 20-22
20 En effet, si, après s'être retirés des souillures du monde, par la connaissance du Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, ils s'y engagent de nouveau et sont vaincus, leur dernière condition est pire que la première. 21 Car mieux valait pour eux n'avoir pas connu la voie de la justice, que de se détourner, après l'avoir connue, du saint commandement qui leur avait été donné. Lire la suite


Le Chrétien - Mais comme ils n'avaient que de la haine et du mépris pour ceux qui entreprenaient ce voyage, il semble que Facile, abandonnant cette entreprise pour rentrer en commerce avec eux, en devrait être bien reçu plutôt que maltraité.

Le Fidèle - Oh! Disaient-ils, c'est une girouette; il faudrait pendre ces gens qui sont si légers et si infidèles dans leur conduite. Je crois que Dieu avait suscité ces ennemis pour le punir par un juste jugement de ce qu'il avait ainsi abandonné ses voies.

Le Chrétien - N'avez-vous jamais eu d'entretien avec lui avant votre départ?

Le Fidèle - Je l'ai rencontré une fois dans la rue, mais il passa de l'autre côté sans me dire mot, comme un homme qui a honte de ses actions; et ainsi je ne puis lui parler.

Le Chrétien - J'avais d'abord eu bonne opinion de cet homme, mais il est à craindre maintenant qu'il ne soit enveloppé dans la destruction de la ville, car il lui est arrivé ce qu'on dit par un proverbe très véritable:

2 Pierre 2 : 22
22 Il leur est arrivé ce que dit un proverbe vrai : le chien est retourné à ce qu'il avait vomi, et la truie lavée s'est vautrée dans le bourbier.


Le Fidèle - C'est aussi ce que je crains, mais qu'y faire, quand on le veut ainsi?

Le Chrétien - C'est pourquoi, mon cher Fidèle, laissons-le, et parlons des choses qui nous touchent de plus près. Apprenez-moi, je vous prie, tout ce qui vous est arrivé sur votre route, car je ne doute point qu'il ne vous soit arrivé de grandes choses, ou ce serait fort extraordinaire.


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