22 - L'EspĂ©rant, IntĂ©rĂȘt personnel






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L'EspĂ©rant, IntĂ©rĂȘt personnel



Hideuse peinture des hommes qui cherchent Ă  allier le monde avec Dieu.

Cependant le Chrétien trouva bientÎt un compagnon nommé l'Espérant, qui s'était joint à lui aprÚs avoir entendu les discours des deux amis, et avoir été le témoin de leurs souffrances. Aussi se lia-t-il d'une étroite amitié avec le Chrétien, et lui témoigna-t-il qu'il voulait désormais l'accompagner dans son voyage. Ainsi, des cendres de celui qui était mort pour le témoignage de la vérité il sortit un pÚlerin qui accompagna le Chrétien jusqu'à la fin de son voyage. L'Espérant l'assura de plus qu'il y avait plusieurs autres personnes dans la foire qui n'attendaient qu'une occasion favorable pour les suivre.

A peine Ă©taient-ils sortis de la foire qu'ils rencontrĂšrent un homme nommĂ© IntĂ©rĂȘt personnel, auquel ils demandĂšrent d'oĂč il venait et jusqu'oĂč il prĂ©tendait aller par ce chemin.

- Je viens, répondit-il, sans dire son nom, de la ville de l'Eloquence, et je m'en vais à la cité céleste.

- Eh! dit le ChrĂ©tien, ĂȘtes-vous de la ville de l'Eloquence? Y a-t-il aussi lĂ  quelques gens de bien?

IntĂ©rĂȘt personnel - Oui, je crois qu'il y en a quelques-uns.

Le ChrĂ©tien - Mon ami, quel est votre nom, s'il vous plaĂźt?

IntĂ©rĂȘt personnel - Vous ne me connaissez pas, et je ne vous connais pas non plus; si vous agrĂ©ez que nous fassions chemin ensemble, j'en serai trĂšs content; sinon j'en prendrai mon parti.

Le ChrĂ©tien - J'ai souvent ouĂŻ parler de la ville de l'Eloquence; et, si je ne me trompe, j'ai ouĂŻ dire que c'Ă©tait un lieu oĂč l'on jouit de beaucoup de prospĂ©ritĂ©.

IntĂ©rĂȘt personnel - Oui, je vous l'assure; j'y ai plusieurs riches amis.

Le ChrĂ©tien - Dites-moi, je vous prie, quels sont les amis que vous y avez, si je ne suis pas trop hardi de vous le demander.

IntĂ©rĂȘt personnel - Presque toute la ville; particuliĂšrement Tourne autour, l'Esclave des circonstances, le Beau parleur (dont les ancĂȘtres ont donnĂ© le nom Ă  la ville), le LĂ©galiste, Celui qui va par deux chemins, l'Ami de chacun, et le docteur de notre quartier, Monsieur Langue double, qui est mon proche parent. Et, Ă  vrai dire, quoique je sois un homme qualifiĂ©, mon pĂšre Ă©tait cependant un batelier qui regardait toujours d'un autre cĂŽtĂ© que son but lorsqu'il Ă©tait Ă  la rame, et j'ai gagnĂ© la plus grande partie de ce que je possĂšde Ă  ce mĂ©tier.

Le ChrĂ©tien - Etes-vous mariĂ©?

IntĂ©rĂȘt personnel - Oui, vraiment, j'ai une femme trĂšs vertueuse qui est fille de Madame Dissimulation, femme d'un trĂšs grand mĂ©rite et d'une haute naissance. Elle sait s'entretenir avec toute sorte de personnes, avec les grands et les gens du peuple, avec les hommes pieux et les impies. Il est vrai qu'Ă  l'Ă©gard de la religion il y a une diffĂ©rence entre nous et ceux qui vont par le chemin le plus court; mais ce n'est qu'en deux points de peu d'importance. Le premier est que nous ne voulons jamais aller contre le vent ni contre le courant de l'eau. Le second, que nous sommes toujours les plus zĂ©lĂ©s lorsque la religion est en estime et que la piĂ©tĂ© est applaudie.

Ici le ChrĂ©tien se tira un peu Ă  l'Ă©cart avec son compagnon l'EspĂ©rant, et lui dit: - Il me vient maintenant dans la pensĂ©e que cet homme pourrait bien ĂȘtre IntĂ©rĂȘt personnel, de la ville de l'Eloquence. Si cela est, nous avons en notre compagnie l'un des plus grands coquins qu'il y ait dans ces contrĂ©es.

L'EspĂ©rant lui dit: - Demandez-lui encore une fois son nom. Peut-ĂȘtre n'en aura-t-il pas honte?

LĂ -dessus le ChrĂ©tien se rapprocha d'IntĂ©rĂȘt personnel et lui dit: - Vous parlez comme si vous Ă©tiez l'homme le plus sage du monde; et, si je ne me trompe, il me semble que je vous connais. Ne vous appelez-vous pas IntĂ©rĂȘt personnel de la ville de l'Eloquence?

IntĂ©rĂȘt personnel - Nullement; ce n'est point lĂ  mon nom, mais c'est un sobriquet que m'ont donnĂ© certaines gens qui ne peuvent me souffrir; Il faut cependant que je m'en console en le souffrant comme un opprobre, Ă  l'exemple de plusieurs gens de bien qui ont vĂ©cu avant moi.

Le ChrĂ©tien - Mais n'avez-vous jamais donnĂ© Ă  ces personnes l'occasion de vous imposer ce sobriquet?

IntĂ©rĂȘt personnel - Jamais de ma vie. Le plus grand mal que j'aie jamais fait, et d'oĂč l'on pourrait avoir pris occasion de me donner ce nom, c'est que j'ai toujours eu le bonheur de rĂ©gler mes sentiments et ma conduite selon le cours de ce monde, de quelque maniĂšre que les choses allassent. Et par le moyen de cette souplesse, j'ai bien avancĂ© mes affaires, et je me suis tirĂ© des plus fĂącheuses rencontres. Mais, pour cela, ces malheureux n'ont aucune raison de me mĂ©priser.

Le ChrĂ©tien - J'ai tout de suite pensĂ© que vous Ă©tiez celui-lĂ  mĂȘme de qui j'ai beaucoup entendu parler. Et s'il m'est permis de dire ce que je pense, je trouve que votre nom vous convient mieux que vous ne voulez l'avouer.

IntĂ©rĂȘt personnel - Si vous ĂȘtes dans cette imagination, je ne saurais vous en empĂȘcher. Mais vous trouverez que je suis un camarade agrĂ©able si vous voulez me recevoir en votre compagnie.

Le ChrĂ©tien - Si vous voulez venir avec nous, il faut que vous marchiez contre vent et marĂ©e. Et, si je ne me trompe, ce n'est pas lĂ  votre inclination. Cependant nous devons nous tenir attachĂ©s Ă  la religion, aussi bien lorsqu'elle marche avec des habits dĂ©chirĂ©s que lorsqu'elle est dans de riches vĂȘtements, lorsqu'elle est dans les fers comme lorsqu'elle est Ă©levĂ©e sur le trĂŽne.

IntĂ©rĂȘt personnel - Vous ne devez pas opprimer ma conscience. Laissez-moi la libertĂ© et permettez que je marche avec vous Ă  ma maniĂšre.

Le ChrĂ©tien - Pas mĂȘme un pas de plus, Ă  moins que vous ne vouliez faire ce que je viens de vous proposer.

- Je ne quitte pas mes principes, rĂ©pliqua IntĂ©rĂȘt personnel, puisqu'elles sont commodes et avantageuses. Si je ne puis avoir votre compagnie, je ferai ce que j'ai fait jusqu'ici: je marcherai doucement tout seul jusqu'Ă  ce que je trouve quelque autre compagnie qui s'accommode de moi.


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