APOCALYPSE D'ESDRAS... Historique et canonicité



Historique et canonicité

L'Apocalypse d'Esdras, connue dans la littérature éthiopienne sous le nom de Premier livré d'Esdras et dans la littérature latine sous celui de Quatrième livre d'Esdras, fut composée en grec, à une époque que nous essaierons de déterminer plus loin.[1] La version grecque, aujourd'hui perdue, mais qui a servi de modèle à toutes les autres, est citée pour la première fois, d'une manière certaine, par Clément d'Alexandrie, de 150 à 190 ap. J. C. (Stromates, III, 16), qui nomme Esdras le Prophète : le passage est imité du verset 35 du chap. IV. S. Hippolyte, mort en 235, dans son traité περὶ τοῦ παντός, a utilisé notre apocryphe et l’Apocalypse


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Lacune dans le texte utilisé

On a cru retrouver dans Tertullien (De praescriptione haereticorum, 3, De cultu foeminarum, I, 3) ; Adversus Marcionem, IV, 16), dans S. Cyprien (Liber apologeticus ad Demetrianum), des traces d'imitation ou d'emprunts de la version latine; mais les expressions de ces passages sont trop vagues pour qu'on puisse conclure à des relations directes. Il en est de même de quelques passages de Commodien (Instructions, II, 1 ; Carmen apologeticum, V, 941 et suiv.) qui présentent des ressemblances moins vagues : mais il y a plutôt lieu de croire que Commodien a connu une tradition qui lui est commune soit avec l'auteur, soit avec le traducteur de l'Apocryphe. En réalité, c'est dans S. Ambroise qu'on rencontre pour la première fois, et d'une façon certaine, des citations du pseudo-Esdras qui y est nommé.[2] Si l'on tient compte que les derniers chapitres XV et XVI, étrangers au texte primitif, font allusion à des événements qui datent de 265 après J. C, comme Gutschmid paraît l'avoir démontré, et furent d'abord écrits en grec et en Egypte, on placera dans le premier tiers du IVe siècle la date de la version latine qui avait acquis au temps de S. Ambroise assez d'importance pour être citée par lui.

§ II.

On a vu que cet apocryphe est mis sous le nom d'Esdras : il est inutile de s'arrêter à démontrer la fausseté de cette attribution ; le livre est regardé comme apocryphe par l'église catholique elle-même ; mais quelques exégètes ont cru que le nom d'Esdras devait être remplacé par Salathiel. Le principal argument invoqué à l'appui de cette opinion[3] est que la version latine (III, 1) commence par ces mots : Moi, Salathiel, qui suis Esdras (Ego Salathiel qui et Ezra :) de même la version syriaque (I,

1) ; la version éthiopienne (I, 1 : Moi Soutael qui suis appelé Ezra). Le nom d'Esdras proviendrait d'une glose maladroite introduite dans le texte ou du remaniement d'un compilateur qui aurait choisi pour désigner l'auteur de l'apocryphe le nom le plus connu. Mais la version arabe1 porte : Moi, Ezra, nommé Chalâthyâl (I, 1) et la version arabe2 : Esdras, fils de Salathiel (El Azir fils de Sâlâthyal). Je serais tenté d'admettre, en présence de toutes les variantes, cette dernière leçon comme la vraie, d'autant plus que, dans la Chronique de Jean de Nikiou,[4] nous trouvons « Zoroubâbel qui est Esdras », et que d'un autre côté par II Esdras, ch. II, § 1, nous savons que Zorobabel était fils de Salathiel.

§ III

Le corps même de l'apocryphe se compose des chapitres III-XV de la version latine, qu'on retrouve dans toutes les versions orientales : en voici le résumé.

Vision I.

La 30e année après la prise de Jérusalem, Esdras, le même que Salathiel, se trouve à Babylone, et réfléchissant sur les malheurs de son peuple, rappelle à Dieu qu'il l'avait choisi entre tous, et que, pourtant, il l'a livré à ses ennemis dont l'impiété et les péchés surpassent les siens. L'ange Uriel lui apparaît et lui montre par plusieurs exemples qu'il ne saurait résoudre ce difficile problème ; pour calmer son désespoir, il lui conte l'apologue de la mer et de la forêt. Il conclut en disant que les derniers temps ne sont pas encore arrivés. A de nouvelles interrogations d'Esdras, il répond par la description des signes qui annonceront la fin du monde, et lui prédît qu'il fera de nouvelles révélations après un nouveau jeûne de sept jours. Esdras transmet cette réponse au chef du peuple, Feltyâl, qui est venu le consulter (chap. I-III, 19).

Vision II. Au bout du temps prescrit, Esdras reprend le cours de ses pensées et revient sur cette question: Pourquoi Dieu a-t-il abandonné le peuple qu'il avait choisi entre tous? De nouveau, l'ange lui prouve par des exemples qu'il ne saurait pénétrer les desseins de Dieu. Il lui explique seulement que le jugement aura lieu en même temps pour les générations successives, d'abord par le Fils de l'Homme, puis par lui-même. Il complète ensuite la révélation des signes faite précédemment : ce sont ceux qu'on rencontre dans les ouvrages de ce genre : le son effrayant de la trompette, les naissances prodigieuses ; les tremblements de terre, l'apparition d'Hénok et d'Elie. Il ajourne ensuite Esdras à une semaine plus tard pour de nouvelles révélations plus importantes (ch. III, 20 — IV, 34).

Vision III. Ce temps écoulé, Esdras rappelle à Dieu la création du monde faite en vue du peuple qu'il devait se choisir et que cependant il abandonne aux autres nations. L'ange lui répond par une figure : le bonheur ne peut être atteint qu'après des épreuves et des peines. Ceux qui succombent sont ceux qui ont méconnu la loi de Dieu.

Il revient ensuite aux scènes du dernier jour, objet des précédentes interrogations d'Esdras : le Messie viendra sur la terre, précurseur du dernier jugement présidé par le Très Haut. Esdras fait alors cette objection : Combien peu seront sauvés?... A quoi l'ange répond par une comparaison : L'or est moins commun que tous les autres métaux ; il est cependant le plus précieux : le petit nombre des élus vaut mieux que la masse des condamnés. — Alors, réplique Esdras, pourquoi créer l'humanité puisque sa plus grande partie doit périr?... L'ange lui objecte que ceux qui périssent succombent par leur propre faute, pour n'avoir pas observé la loi qu'ils connaissaient (ch. IV, 39 — VI, 39).

On doit remarquer, dans le récit de la création, la part faite au Verbe en qualité de démiurge : c'est déjà un exemple d'influence philonienne relative au Logos, et c'est dans le même esprit que le Verbe est représenté dans l’Epître aux Hébreux.Esdras demande ensuite des explications sur le sort des âmes après la mort.

Celles des méchants subissent sept châtiments ; celles des bons reçoivent sept sortes de récompenses pendant sept jours, après quoi elles rentrent dans les demeures d'où elles ne sortiront que pour le jugement (ch. VI, 40-66). Esdras veut ensuite savoir si l'intercession sera admise à ce moment. La réponse de l'ange est négative : c'est ce passage qui, au moyen-âge, fut supprimé dans un des manuscrits de la version latine, comme contraire à la doctrine catholique de la prière pour les morts. On en retrouve l'influence jusque dans le Qorân, Sourate XXIII, 703 : Lorsque la trompette (du jugement dernier) sonnera, il n'y aura plus de lien de parenté entre les hommes ; les liens de parenté n'existeront plus. On ne se fera plus de demandes réciproques.

— Sourate LXXX, 33-37 : Lorsque le son assourdissant de la trompette retentira, le jour où l'homme fuira son père et sa mère, sa compagne et ses enfants, ce jour-là, tout homme souffrira à sa propre occupation — Sourate LXXV, II, 19 : C'est le jour où une âme ne pourra rien pour une âme ; ce jour-là, tout sera dévoilé à Dieu.

A une objection d'Esdras qui rappelle l'intercession d'Abraham, de Josué, d'Elie, etc., l'ange répond qu'elle s'est produite quand les temps n'étaient pas accomplis, avant l'apparition du Très-Haut comme juge suprême. Esdras reprend ses imprécations contre la vie qui ne doit aboutir qu'à une destruction presque générale ; l'ange le réfute par les mêmes arguments que plus haut et finit par le convaincre de la miséricorde et de la clémence de Dieu (VI, 67-VIII, 3). Toutefois, cette pensée d'une création à qui le Seigneur a donné la vie pour l'anéantir ensuite, tourmente toujours Esdras : il adresse au Très-Haut une prière pour que le Seigneur pardonne aux coupables en considération des justes parmi lesquels lui-même est rangé. Cette prière est repoussée par l'argument de la liberté dont les hommes, en majeure partie, se sont servis pour offenser Dieu (VIII, 4-61).

Vision IV. Esdras revient sur l'époque du jugement. Le Seigneur lui répond que les signes l'annonceront, que le moment est proche, que la plus grande partie des hommes périront, qu'il aura encore une révélation s'il continue de jeûner et de prier pendant sept jours. Alors lui apparaît une femme qui a été stérile pendant trente ans ; puis elle a eu un fils qui est mort le jour même de son mariage ; elle ne peut, malgré les efforts d'Esdras, se consoler de sa perte. Tout à coup, elle fait place à une ville immense.

L'ange explique que cette double apparition représente la Jérusalem terrestre et la Jérusalem céleste : les trente ans de stérilité sont les 3000 ans qui se sont écoulés jusqu'à la construction du temple ; le fils représente l'institution des sacrifices par Salomon ; sa mort, la ruine de Jérusalem qui sera remplacée par la Jérusalem céleste (ch. VIII, 61-X, 60).

Vision V. Le lendemain, Esdras voit un aigle à trois têtes, six paires d'ailes et quatre paires d'ailerons, qui règnent successivement sur toute la terre. L'aigle est l'empire romain, le quatrième des animaux mystiques apparus à Daniel (Daniel, IX, 39-40).

L'interprétation la plus vraisemblable est celle-ci : les six paires d'ailes représentent les six premiers Césars; César, Auguste, qui règne plus longtemps que les autres (XI, 16; XII, 15), Tibère, Caligula, Claude et Néron ; les quatre paires d'ailerons : Galba, Othon, Vitellius et Nerva ; les trois têtes : Vespasien, Titus et Domitien.

Cet aigle disparaît devant le lion qui figure le Messie. Après les explications données par l'ange, le peuple, inquiet de ne pas voir Esdras, vient le trouver et se plaint de son abandon : le voyant le renvoie de nouveau à sept jours.

Cette vision de l'aigle, qui nous permet de fixer avec certitude l'époque de la composition du livre, a été l'objet de discussions sans fin. Volkmar, le premier, a fait faire un grand pas à la question en montrant[5] qu'il fallait compter par paires d'ailes (ou d'ailerons) et non par ailes : un oiseau volant d'ordinaire avec ses deux ailes. Cette judicieuse remarque exclut les hypothèses de Hartwig,[6] de Le Hir[7] et de Gutschmid[8] qui nous mèneraient jusqu'à Caracalla, en supprimant, il est vrai, Galba, Othon, Vitellius et Albinus. Il est inutile de s'arrêter aux explications de Laurence[9] qui retrouve les ailes et les têtes de l'aigle dans les rois de Rome, les prétendants à la tyrannie comme Sp. Melius. M. Manlius et les triumvirs : il fut suivi par Van der Vlis[10] et Lücke,[11] et il n'y a pas à faire plus de cas des opinions de Hilgenfeld qui y vit successivement la dynastie des Ptolémées,[12] puis celle des Séleucides.[13] Ewald se rapprocha davantage de la vérité en plaçant la composition du livre (et la vision de l'aigle) sous Titus.[14] L'opinion de Volkmar, la plus vraisemblable grâce à sa découverte, fut suivie par Colani,[15] Langen[16] Vernes[17] Renan[18] et Batiffol.[19] Ce dernier admet cependant qu'elle pourrait remonter à Domitien, ce qui est aussi l'opinion de Kabisch qui en fait un écrit indépendant, œuvre d'un zélote, vers 90.[20] Dillmann, qui partage l'opinion de Volkmar, croit que si la vision de l'aigle fait partie du livre, l'interprétation a été interpolée.[21]

Vision VI. Au bout de sept jours, Esdras voit sortir de la mer un homme contre lequel se ligue une foule venue des quatre vents du ciel : il se réfugie sur une montagne et extermine ses adversaires par le feu qui sort de sa bouche. Ceux-ci détruits, une foule de gens se réfugient vers lui. L'ange explique à Esdras que l'homme sorti de la mer est celui qui est mis en réserve par le Très-Haut pour régner sur le monde nouveau ; que les peuples réunis contre lui seront exterminés par lui des hauteurs de Sion ; qu'il rassemblera les neuf tribus d'Israël, déportées par Salmanasar et revenus au culte de la Loi (ch. XIII).

Esdras reçoit de Dieu l'ordre d'écrire, avant d'être enlevé au ciel, la Loi qui avait disparu, et les révélations dont lui-même a été favorisé. Il réunit des scribes qui, par la grâce divine, viennent à bout de leur tâche en quarante jours. Les dates qui terminent le livre varient avec les versions et ne me paraissent pas pouvoir, en l'absence de l'original, être prises, comme l'a fait Gutschmid, pour base de recherches sur la composition du livre.

La croyance d'après laquelle les livres de l'ancienne Loi, détruits par Nabuchodonosor, auraient été dictés par Dieu à Esdras et sauvés ainsi de l'anéantissement se répandit grâce à cet apocryphe. On la retrouve dans saint Irénée (III, 21-2) reproduit par Clément d'Alexandrie (Stromates, I, 22), dans Tertullien (De cultu foeminarum, I, 3), mais l'apocryphe lui-même n'est pas nommément mentionné comme dans les auteurs qui suivent, et l'on est fondé à conclure de l'ensemble des citations qu'il s'agit d'une légende d'origine rabbinique, reproduite indépendamment par chacun de ces écrivains. Au contraire, c'est bien du pseudo Esdras que la tient

Priscillanus (De fide et apocryphis, cité par Bensly et James, p. XXXV), et saint Jérôme (Adversus Helvidium) la regarda comme possible : il était cependant un adversaire de l'authenticité de ce livre, comme on le voit dans sa polémique avec

Vigilance : celui-ci s'était appuyé sur notre apocryphe pour combattre les prières pour les morts (Cf. la préface d'Esdras et Néhémie adressée à Domnion et Rogationus) dans la Biblia sacra, éd. Lefèvre, 1838, p. XLVII-XLVIII).

Il semble, d'après le résumé qui précède, qu'on ne saurait avoir de doutes sur l'unité de composition de cet apocryphe : les interrogations et les visions se succèdent naturellement et dans un ordre régulier. En général, du reste, l'unité de cet ouvrage a été admise, sauf par un groupe qui détache la vision de l'aigle (Noack, Gutschmid).

Toutefois Kabisch a déployé la plus grande ingéniosité pour arriver à disséquer l'Apocalypse d'Esdras, et il est arrivé à des résultats qui tiennent plus de la divination que de la critique. Ces résultats adoptés par de Faye sont les suivants. Le

IVe Esdras se compose :
1° de l'apocalypse de Salathiel écrite à Rome vers 100 après J.-C. ;
2° une apocalypse eschatologique d'Esdras, écrite à Jérusalem vers 31 avant J.-C. ;
3° la vision de l'Aigle composée par un zélote vers 90 après J.-C. ;
4° la vision du Fils de l'Homme de l'époque de Pompée, écrite à Jérusalem ;
5° un passage d'Esdras, vers 100 après J.-C, enfin
6° diverses additions dues au compilateur définitif, un zélote, qui écrivait vers 120 après J.-C.La vision de l'aigle, partie intégrante du livre, nous permet de la dater de l'an 97 environ (avènement de Nerva) et comme on le reconnaît par les idées et les tendances, il fut écrit en grec par un Juif alexandrin qui voulut imiter le livre de Daniel et vit dans les débuts troublés du règne de Nerva le temps destiné à venger le peuple de Dieu. Il est bien entendu que quelques retouches ont pu être faites au livre quand il fut adopté par les chrétiens.

§ IV.

On a vu plus haut que la version latine diffère du groupe oriental (et aussi de l'original grec) par l'addition de quatre chapitres supplémentaires (I et II, XV et XVI) dont il reste à chercher la provenance.

Le premier groupe (I et II) paraît avoir été écrit en Egypte à une date plus récente que l'Apocalypse qui y est imitée : on y trouve les traces d'influences d'écrits chrétiens, comme l'Evangile de Mathieu, de Luc, l'Apocalypse, le Pasteur d'Hermas, et surtout il atteste de nombreux rapports avec un autre apocryphe récemment découvert en copte et dont nous ne connaissons que des fragments : l'Apocalypse de Zephanias.

C'est sous cette forme, et sans doute dans sa composition originale, l'œuvre d'un chrétien. Elle est dirigée contre les Juifs partisans de l'ancienne Loi et qui ont méconnu la nouvelle. Assur, qui donne asile aux méchants, rappelle la protection accordée aux Juifs, soit dans les petites cours syriennes où abondaient les prosélytes, soit chez les Perses : peut-être doit-on l'entendre des colonies juives établies en Babylonie. Il est impossible de fixer l'époque de la rédaction de ce fragment et la tentative de Gutschmid pour la placer au temps de Sévère est plus ingénieuse que solide.[22]

Les chapitres XV et XVI présentent dans le groupe français une recension plus ancienne que le groupe espagnol;[23] ils forment d'ailleurs un tout spécial composé, d'après l'hypothèse fort vraisemblable de Gutschmid vers 268, au moins dans la dernière partie du IIIe siècle, par un chrétien d'Egypte, imitateur des oracles Sibyllins et des livres prophétiques de l'Ancien Testament pour donner une suite aux chapitres III-XIV. A cette époque, le christianisme était persécuté en Egypte (XV, 6-10) : il s'agit de la persécution générale ordonnée par Valérien (257-260) : Babylone n'est autre que Rome et comme cette ville paraissait menacée d'une ruine prochaine, il est évident qu'il s'agit de Gallien et des trente tyrans, et plus particulièrement de ceux qui s'élevèrent en Egypte : Macrianus et ses deux fils : Macrianus le jeune et Quiétus (261-262), puis Emilianus (262-263), Domitianus (268) ; et enfin de 270 à 272, de Zénobie, reine de Palmyre, pour le compte de son fils Ouaballathos (XV, V, 10 et suiv.).

Les guerres que les peuples se livrent les uns aux autres sont celles des Romains contre les Goths (253, 255, 258, 259, 260, 266, 269, 270), contre les Perses (256, 260) et celles d'Odénat contre les Perses jusqu'en 266. Les rois de l'Orient sont les Sassanides de Perse ; ceux du Sud-est, les rois de Palmyre ; ceux du Sud, les chefs des Blemmyes, enfin ceux du Sud-ouest, les chefs Libyens de la Marmarique qui ne furent vaincus que par Probus. La clef de ce passage est dans la lutte des Arabes et des Carmoniens, elle est trop détaillée pour ne pas s'appliquer à des faits réels et récents (XV, 28-33). Les Arabes représentent Odénat, roi de Palmyre ; les Carmoniens ou Carmaniens sont les habitants du Kerman, province de Perse, conquise par Ardéchir sur Palâch, et ce nom désigne les Persans qui, après la défaite et la captivité de Valérien, envahirent, sous la conduite de Sapor, l'Orient romain, s'emparèrent de la Mésopotamie, ravagèrent la Syrie et la Cilicie, prirent Tarse et assiégeaient Pompéiopolis quand ils furent vaincus et repoussés par le général romain Ballista, en même temps que, de son côté, Odénat les anéantissait en Commagène ; les Persans furent obligés de faire une retraite honteuse (261). Déjà deux ans auparavant, Odénat, à la tête de ses bandes de Syriens et d'Arabes, avait ravagé la Mésopotamie. Après la défaite de Sapor, il franchit les frontières de la Perse, prit Carrhes et Nisibe, conquit la Mésopotamie et assiégea Ctésiphon. Il revint faire la guerre à Macrien dont il tua le plus jeune fils, Quiétus (262) puis, maître d'Emèse, associé à l'empire en 264 par Gallien, il reprit l'offensive contre les Perses, s'empara de Ctésiphon, et après avoir marché contre les Goths qui ravageaient l'Asie Mineure, il fut assassiné à Emèse, le 23 novembre 266, avec son fils et associé Hérode. L'espion assyrien du verset 33 pourrait être Mœonios, le meurtrier d'Odénat et de son fils, qui du reste ne régna que peu de temps et lut remplacé par Zénobie.

Peut-être aussi, et c'est l'opinion de Gutschmid, ce verset 33 fait-il allusion à un fait que nous ignorons. Par le nuage venu de l'Orient et du Nord (XV. 25-37), on doit entendre l'invasion des Goths qui, depuis 255, pillaient la Thrace, la Macédoine et l'Achaïe et qui, vaincus par Macrien, général de Gallien, purent se retirer en 262 en emportant tout leur butin. Une autre bande, conduite par Vespra, Veduco et Turvaro, passa le Bosphore en 259, dévasta la Bithynie où elle brûla Nicomédie et Nicée ; l'Asie, où elle détruisit le temple de Diane, la Galatie, la Cappadoce et la Phrygie ; puis, après avoir ruiné Troie, repassa en Thrace par l'Hellespont et de là rentra dans son pays en 262. Les versets 40-45 s'adressent à Rome que le prophète espère voir succomber sous les coups des barbares coalisés ; puis il revient sur les ravages dont l'Asie, où les chrétiens avaient été le plus maltraités sous Valérien et Macrien, sera la victime.

Le chapitre XVI est une récapitulation des malheurs annoncés dans le précédent (et en réalité arrivés quand parle l'auteur) et une exhortation à profiter de cette leçon donnée par Dieu à ceux qui ont méconnu sa loi. Cette période de désolation ne pourra se terminer que par la fin du monde, suivie du jugement dernier.[24] La version latine du Quatrième Esdras se compose donc des morceaux suivants :

1° (Chap. III-XIV) de l'Apocalypse d'Esdras, écrite en grec par un Juif d'Alexandrie vers 97 de notre ère (cette version, aujourd'hui perdue, fut traduite en syriaque, en éthiopien, deux fois en arabe et en latin).

2° Des chapitres XV-XVI composés peu après 266.

3° Des chapitres I-II dont la date est indéterminée. Le tout fut traduit en latin, postérieurement à 366, mais antérieurement à saint Ambroise qui le nomme et le cite comme un ouvrage d'une autorité incontestable. C'est donc de la première moitié du IVe siècle que date la version latine telle que nous la possédons.

§ V.

On a vu que l'influence du livre d'Esdras se fit sentir jusque dans le Qôran : c'est à lui également qu'Eth Thaialebia emprunté ce qu'il a raconté sur le voyant;[25] mais en Occident, du jour où il fut répandu par la version latine, il exerça une influence qui se continua jusque dans les temps modernes. En premier lieu, il faut citer le rituel de l'Eglise catholique romaine qui cependant le considère comme apocryphe :

1° Un passage de l'Antiphonaire pour les fêtes des martyrs dans le temps de Pâques : Une lumière éternelle brillera pour tes saints, Seigneur, ainsi que l'éternelle durée (Esdr. lat. II. 35).

2° Un passage du commun des Apôtres : Ils sont couronnés et reçoivent une palme (Esd. lat. II, 45).

3° Un passage de l'office des morts : Seigneur, donne-leur le repos éternel et qu'une lumière perpétuelle brille pour eux (Esdr. lat. II. 35).

4° Un passage de l'Introït de la messe du mardi de la Pentecôte : Recevez le plaisir de votre gloire, rendant grâce à Dieu qui vous a appelés au royaume céleste (Esdras, lat. II. 36-37).[26] Saint Ambroise, comme on l'a vu plus haut, ne semble pas mettre en doute

l'authenticité du livre :

il s'appuie sur lui en parlant du jugement dernier où la terre rendra les cadavres des morts, du sort fait aux âmes justes et à celles des pécheurs, du paradis ; il recommande la lecture de ce livre en l'attribuant à l'Esdras biblique ; bien plus, il déclare que saint Paul s'est inspiré de lui et non de Platon : il faut ajouter que les citations faites par saint Ambroise qui nous donne là un singulier exemple de sa critique, sont souvent textuelles. Un écrit apocryphe qui lui est attribué, contient encore deux citations du Quatrième Esdras (VII. 78 ; VIII, 7-11).[27]

Mais l'influence de ce livre s'exerça dans des circonstances plus extraordinaires :

Christophe Colomb y puisa des arguments pour convaincre ses adversaires de l'existence d'un nouveau monde, en s'appuyant d'abord sur l'autorité de Roger Bacon (1967), suivant qui l'Inde n'était qu'à peu de distance de l'Espagne. Et hoc per auctoritatem Esdrae probatur qui dicit libro quarto quod sex partes terras sunt habitatae et septima est cooperta acquis. Et ne aliquis impediat hanc auctoritatem, dicens, quod liber ille est apocryphus : dicendum est quod sancti habuerunt illum in usu et eo in officio divino utuntur.[28] La seconde autorité était le cardinal Pierre d'Ailly (1410) : Accedit ad hoc auctoritas Esdrae libro suo quarto dicens quod sex partes terrae sunt habitatae et septima est cooperta aquis, cujus libri auctoritatem sancti habuerunt in reverentia.[29] 

Les versets 6 et 7 du chapitre IV parurent à Colomb prédire non moins sûrement que le fameux chœur de la Médée de Sénèque[30] l'apparition de terres ignorées.
Cette preuve était beaucoup plus à la portée des ignorants qu'il essayait de convaincre que les renseignements scientifiques de son ami Toscanelli et, d'un autre côté, elle lui permettait, sans que sa foi put être mise en soupçon de réfuter les arguments saugrenus d'un Lactance ou d'un saint Augustin contre l'existence des antipodes.[31]

Quibus oceanus

Vincula rerum

Laxet et ingens

Pateat tellus,

Thetisque novos

Detegat orbes

Nec sit terris

Ultima Thule.


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